2 juin 2023

RADIO FRANCE - " Recherche liaisons désespérément "

 


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Les faire ou ne pas les faire... les liaisons, vaste débat, comme seule la France peut en avoir. Est-ce que nous parlons de plus en plus mal ? 

"Recherche liaisons désespérément", reportage signé Ilana Moryoussef.


Les services de la médiatrice de Radio France peuvent en témoigner : à France Inter et dans toute la maison de la radio, nous recevons régulièrement des courriers d'auditeurs nous faisant la leçon pour une liaison mal-t'à-propos ou une liaison mal prononcée. Mais qu'en est-il réellement ? Les Français parlent-ils de plus en plus mal ? Dirons-nous un jour "la guerre de 100 (h)ans" au lieu de "la guerre de 100 (t)ans" ?

Doit-on dire "200 (h)euros" ou "200 (z)euros" ? Pourquoi dit-on plus souvent "200 (h)euros" mais "80 (z)ans" ? En interrogeant des passants dans la rue, les réponses sont disparates. Cet oubli d'une liaison entre le nombre et le nom de la monnaie européenne, le linguiste Jean-Joseph Julaud, auteur de "La littérature française pour les Nuls", l'a jugé assez symptomatique pour lui consacrer un "Petit livre des liaisons".

Des liaisons "facultatives"

Le problème, selon lui, remonte à l'apparition de l'euro : "Lorsque ce mot est apparu en 2022, on a découvert une hésitation, presque une peur, devant la liaison qu'on allait devoir faire ou pas. Pourquoi les gens hésitaient-ils à faire une liaison ? Parce que la règle d'accord des adjectifs numéraux ou cardinaux n'a jamais été bien intégrée". Cette règle, explique-t-il, ne fait varier que deux adjectifs numéraux : vingt et cent. Ainsi, on doit faire la liaison entre vingt et euros.

Pour la linguiste Julie Neveux, autrice de "Je parle comme je suis", il n'y a pas de quoi fouetter un adjectif : "Il y a trois grands types de liaisons : d'une part, les liaisons systématiques, celles qu'on apprend entre 2 et 6 ans, et qui sont très stables. Ce sont celles qu'on trouve dans les groupes nominaux, "un petit enfant", "des abricots"", explique-t-elle. Le deuxième groupe, selon elle, "ce sont des liaisons facultatives, qui varient selon les époques, avec des modes. Et la troisième catégorie, ce sont les liaisons malheureuses, qu'on fait par hypercorrection quand on veut trop bien parler".

La langue française évolue comme ses besoins

L'hypercorrection, source de comique involontaire, on l'entend par exemple chez Jacques Chirac, dans une diction qui a parfois été reprise par les imitateurs. C'est surtout l'occasion pour le socio-linguiste Médéric Gasquet-Cyrus de rappeler que la langue évolue : "A l'origine, les liaisons correspondent à un état de la langue française où toutes les lettres étaient prononcées. Aujourd'hui, un "s" par exemple subsiste à l'écrit, mais on ne l'entend pas, sauf en cas de liaison".

Il note que dans "Les chevaliers armés jusqu'aux dents", il faudrait en réalité faire la liaison entre "chevaliers" et "armés", mais aussi entre "jusque" et "aux". "La plupart du temps, on ne fait plus cette liaison : on n'en a pas besoin. Dans le langage, il y a un principe d'économie qui fait qu'on ne va prononcer que ce qui est pertinent, ce qui fait sens. Mais ce n'est pas une dégradation du langage, c'est une utilisation du langage : la langue française est une langue vivante, elle bouge parce que ses besoins changent" De quoi calmer les angoisses des chevaliers de la langue française.

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