19 mars 2022

LEÏLA SLIMANI - «La langue est plus forte que tout»

Journée de la francophonie: « La langue est plus forte que tout », estime Leïla Slimani

ENTRETIEN A l’occasion de la Journée internationale de la francophonie ce dimanche, Leïla Slimani nous parle des mots, des sons et des combats qui l’animent 




L'autrice Leïla Slimani, à la Foire du livre de Francfort (Allemagne), en 2017
 John MACDOUGALL / AFP

 
EXTRAITS: 

Dans votre préface, vous parlez de la liberté que la langue française peut porter et apporter. Mais peut-on être complètement libre dans son utilisation ? Y a-t-il des degrés de liberté acceptables et d’autre non ?

Je pense qu’on a beaucoup de liberté avec la langue. Evidemment, il y a, comme dans toute langue, une grammaire, un usage correct ou incorrect. Mais la langue française est très plastique. On peut l’utiliser de mille façons. On peut réinventer une manière de parler français. Je me rappelle quand les premiers rappeurs et slameurs sont arrivés, quand l’argot le verlan ont émergé… Et puis il y a aussi les façons de parler français dans d’autres pays que la France. Cette langue on la transforme. On fait dire à des mots d’autres significations. L’inventivité et la liberté dont on dispose vis-à-vis de la langue française sont absolument immenses.


Dans sa nouvelle, Alexandre Duval-Stalla parle de ce sentiment d’exclusion par la non-maîtrise de la langue. Comment peut-on faire, à l’école ou ailleurs, pour que tout le monde sache l'utiliser et la maîtriser le plus tôt possible ?

Il ne faut pas imposer. Ce qui est important c’est de passer par le désir, le plaisir. Et il faut s’adresser à des gens de tous les âges. On n’apprend pas seulement à lire et à écrire quand on est en maternelle. Il faut être capable aussi d’aller vers ceux qui ont perdu le fil, qui ont désappris la langue française. C’est le cas pour des gens dans des situations de marginalisation sociale, de précarité. C’est le cas également de certains détenus comme l’évoque Alexandre Duval-Stalla dans son texte. D’ailleurs, il dirige une association dont je suis la marraine qui s’appelle Lire pour en sortir. La situation de l’illettrisme dans les prisons est terrible. Environ 30 % des prisonniers ne maîtrise pas les savoirs de base et 10 % sont en situation de total illettrisme. Au début, nous leur proposons des livres faciles. Surtout, il ne faut pas être dans le jugement. Ce sont des gens qui souffrent beaucoup de l’humiliation. Ils en viennent à rejeter complètement la lecture puisque ça les renvoie à leur situation. Mais en prison comme ailleurs, il faut s’efforcer de montrer la beauté et le plaisir qu’on peut avoir à parler une langue.

Le débat autour de l’écriture inclusive et de la féminisation de certains mots a éclaté ces dernières années. Quelle position avez-vous par rapport à cette évolution de la langue : plutôt militante, curieuse, défiante ?

Militante ? Non pas du tout. Je pense que la langue est vraiment plus forte que nous. Elle se modifie par elle-même. Elle est le reflet de ce que nous sommes, de l’état d’une société. Les féminisations comme d’autres changements se feront d’eux-mêmes. Concernant l’écriture inclusive, j’ai du mal. Ce n’est pas que je n’y suis pas favorable, mais je ne m’y retrouve pas. C’est une écriture qu’on ne peut pas facilement lire. Et ce que je trouve très beau, dans l’écriture c’est aussi la lecture à voix haute. Une langue, elle se dit. J’aime sa sonorité, son éloquence. Et puis la langue française est déjà une langue extrêmement difficile à apprendre et à maîtriser. Y ajouter des difficultés, je ne sais pas si c’est très efficace, notamment pour ceux qui se sentent aujourd’hui exclus de cette langue.

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