23 nov. 2017

L'écriture inclusive: Éliane Viennot et Alain Rey

«L'écriture inclusive désigne l'ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d'assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes.»



POUR EN SAVOIR PLUS:

LE FIGARO - Qu'est-ce que l'écriture inclusive? De quand date-t-elle et comment est-elle née?
Eliane Viennot - C'est un système d'abréviations qui a été trouvé pour donner une égale visibilité aux hommes et aux femmes dans la langue écrite, pour qu'ils pèsent autant les uns que les autres, qu'on s'intéresse autant aux uns qu'aux autres. En France, cela fait une quinzaine d'années que des gens l'utilisent. Cela s'est fait par du bricolage, avec des parenthèses, des traits d'union, des barres obliques, etc. On ne sait pas qui en est à l'origine. Personne n'a déposé de brevet.
L'écriture inclusive a dû naître de la rencontre de deux exigences: de la sensation désagréable que l'on a à parler au masculin dit générique alors qu'on est censé parler des deux sexes, ou s'adresser aux deux sexes, et de l'envie d'aller vite, donc d'utiliser des abréviations. Il est en effet plus rapide d'écrire «étudiant.e.s» ou mieux encore, «étudiant·es» que «étudiants et étudiantes». Le recours aux abréviations est vieux comme l'écriture! (...)
Mais que faudrait-il alors employer, des parenthèses, des tirets ou des points?
Il y a eu une évolution de l'usage des signes. À l'évidence, les gens qui sont à l'origine de cette écriture ont commencé avec des parenthèses. Ce signe est très accessible dans la langue française. On écrivait donc «étudiant(e)s». Mais très vite, des femmes ont protesté, parce qu'en général, ce que l'on met entre parenthèses dans un énoncé, c'est ce qui est moins important. Comme on ne voulait justement pas mettre les femmes «entre parenthèses», on est alors passé aux traits d'union, aux barres obliques, au point bas, au point milieu. Toutefois, beaucoup de gens continuent à utiliser ces différents signes. Il n'y a pas, à l'heure où nous parlons, d'unification dans cette écriture.
L'écriture inclusive n'est-elle pas une manière de sous-entendre que la langue française est discriminante?
Non. Tous les mots qui désignent des activités humaines ont deux formes, féminine et masculine. Le problème n'est pas la langue française, c'est la manière dont on l'utilise. Si l'on veut s'exprimer justement, voire simplement être poli·e, le féminin et le masculin sont là, à notre portée. On peut très bien dire «les Français et les Françaises» plutôt que «les Français» seul. Pourtant, on a estimé longtemps que cela suffisait. Cela ne suffit plus. (...)
Est-ce à la langue d'assurer l'égalité entre les sexes?
La langue ne change pas la société, mais elle accompagne ses changements. Elle évolue avec elle. Elle peut donc aider à renforcer cette égalité. Nous en avons la preuve avec ce débat sur «homme» versus «humain». Notre société française a changé. Elle est aujourd'hui plus apte à comprendre les enjeux qu'il y a dans le langage. C'est parce que nous progressons vers l'égalité que l'ancienne manière de s'exprimer tout au masculin nous devient insupportable.
Alain REY - (...) l'écriture inclusive est une réponse très partielle, qui est de nature à troubler les enfants alors même que ceux-ci ont du mal à maîtriser l'orthographe traditionnelle. Ce problème de la représentation de l'égalité homme-femme à l'intérieur de la langue est réel et important. La langue est évidemment machiste. Elle représente mille ans d'expériences collectives, beaucoup de choses sont inscrites dedans, dont l'absence de neutre en français, que le masculin a tenté de remplacer. Mais, ce n'est pas en ajoutant des points et des terminaisons féminines à tous les masculins que l'on va arranger les choses.
Pourquoi l'écriture inclusive ne peut pas fonctionner en français?
On a complètement confondu, me semble-t-il, les «signes» et les «choses». Le masculin et le féminin dans la grammaire française ne sont pas liés à l'espèce humaine. Ils sont complètement arbitraires concernant les choses. On dit ainsi: un fauteuil, une chaise, etc. Idem concernant les noms d'animaux. On dit une girafe et pourtant on pense au mâle. Comme on croit que le crapaud est le mari de la grenouille. Or, ce sont deux espèces différentes. (...)
L'écriture inclusive va-t-elle mourir d'elle-même?
Elle est une surréaction, certes compréhensive idéologiquement et moralement, mais à côté de la plaque. Elle est inutile, ne serait-ce que parce qu'elle ne peut pas se représenter à l'oral. Un texte en écriture inclusive ne peut pas se parler. C'est donc une complication ridicule et inutile sur un système qui est déjà, pour des raisons historiques, terriblement compliqué. Cette écriture méconnaît la réalité des choses.(...)
Que faudrait-il alors proposer pour donner davantage de visibilité au féminin dans la langue?
L'idée de l'écriture inclusive peut être généreuse. On peut la défendre, mais ce n'est pas un bon point d'application. Ce n'est pas comme ça qu'il fallait procéder. Je serais ainsi, pour ma part, plus favorable à l'accord de proximité dans lequel on accorde au masculin ou au féminin suivant que le dernier mot est masculin ou féminin.
C'est une règle formelle. Elle peut donc fonctionner, mais ça serait une complication supplémentaire pour l'écriture et cela ferait deux normes au lieu d'une! Ainsi, même pour des choses pour lesquelles je serais idéologiquement d'accord, je ne peux pas accepter de les pratiquer sans précaution, sans étude préalable ou sans classe expérimentale.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire