« Les vrais héros ont sacrifié leur vie » : pour les 80 ans du Débarquement, l’humilité et l’émotion des vétérans
Arlester Brown, Felix Maurizio, Hilbert Margol… ils ont tous en commun d’avoir enterré leur enfance sur une plage de Normandie en 1944. « Le Monde » les a suivis pendant les commémorations en leur honneur.
Par Annick Cojean (envoyée spéciale à Colleville-sur-Mer et Saint-Laurent-sur-Mer (Calvados))
Emmanuel Macron décerne à Arlester Brown, vétéran américain de la seconde guerre mondiale, le titre de Chevalier de la Légion d’honneur lors de la cérémonie à Omaha Beach, à Saint-Laurent-sur-Mer (Calvados), le 6 juin 2024. MIGUEL MEDINA / AFP
« Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé », dit une étrange formule. Eh bien, au soir du 6 juin, rentrant en autocar d’une longue journée de commémorations du Débarquement en Normandie, une poignée de vétérans américains centenaires, à la fois groggy et grisés, se posaient la question : qu’a-t-il bien pu se passer, en quatre-vingts ans, pour qu’on se retrouve ainsi, applaudis par les foules, glorifiés par les dirigeants, érigés en héros ?
Comment diable expliquer, disait Arlester Brown, 100 ans depuis le 1er avril, ce formidable retournement de situation qui fait qu’un jeune soldat noir, débarqué en Normandie au mois de juin 1944 au sein d’une unité chargée de l’intendance et de la blanchisserie, exposé dans le cadre de sa propre armée au racisme, à l’humiliation, à la ségrégation, se voie décoré de la Légion d’honneur par le président de la France, devant plusieurs monarques et un parterre de chefs d’Etat ? « La vie réserve décidément de jolies surprises, note-t-il. Cette journée était si lumineuse ! Tous ces sourires, ces vivats, cette communion si fraternelle autour des valeurs de la paix et de la liberté, franchement, quelle joie ! »
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"Dans chaque vieillard célébré lors de ces commémorations du 80e anniversaire du Débarquement, il y avait un jeune qui se demandait ce qui s’était passé, ce qu’il avait fait de sa vie, ce qu’il avait laissé sur Omaha, Utah, Sword, Gold, Juno, Sainte-Mère-Eglise, Saint-Lô ou Caen. Un jeune qui avait enterré son enfance sous un ciel normand tourmenté, perdu beaucoup de frères d’armes et nombre d’illusions. Un jeune qui avait échoué à oublier la guerre et, étrangement, trouvait dans l’époque actuelle des réminiscences de la situation d’avant 1940".
MERCI
Enoch Woodhouse - vétéran de 97 ans
« Le 7 décembre 1941, ma famille était en chemin vers l’église quand nous avons appris l’attaque de Pearl Harbor. Ma mère s’est arrêtée et a dit : “Les garçons, l’Amérique est en guerre. Je veux que vous serviez votre pays.” Vous imaginez une femme noire prononcer ces paroles alors que tout ce qu’elle avait de plus précieux au monde, c’étaient ses deux fils ? Et alors même que les journaux auxquels son mari pasteur était abonné montraient des images de lynchages de Noirs dans les Etats du Sud ? Eh bien, ma mère était faite de ce bois-là. Et on a suivi ! »